Des Seris aux Aymaras : portraits, gestes et objets
Michel Roget, photographies
texte de Gregorio Salinero
  CONTRIBUTIONS 
ESPAGNOL
 REVUE  
Les photos d’un cauchemar indien

À l’occasion de l’accrochage de son exposé sur les Indiens, une élève a donné pour titre à l’un de ses panneaux : « Les indiens portaient des noms composés d’un nom d’animal et d’un adjectif : par exemple Nuage Rouge ». Scolaire, le professeur fait remarquer que le nom d’animal manque ; mais l’élève fait valoir que ce nom est très beau, c’est pour ça qu’elle l’a choisi. La poésie l’emporte parfois sur la logique grammaticale. Dans un film récent, un anthropologue pressé de rendre son travail de recherche invente de toute pièce une tribu en fournissant à l’appui de sa découverte des images tournées dans son jardin. Pour une part, l’Autre est toujours le fruit d’une invention ; et l’Indien l’un des rares champs d’exercice de notre imaginaire.

Telles ne sont pas toutefois les bases du travail de Michel Roget. Nombre de ces photographies sont connues, d’autres sont copiées et artificiellement mises en scène ; pourtant, la modestie de l’individu n’a d’égal que le désordre de son premier CV. À la ligne Photographies chez les Yaquis, il fallait comprendre trois ans dans les villages du Sonora. Le reste est à l’avenant : un chapelet de noms d’hommes inconnus, l’Afghanistan, la Bolivie, le Chiapas, le Dugaor des Indes orientales aussi bien que les faubourgs de New York. Une œuvre donc, celle qui ajoute son œil à celui d’un Werner Bischof, de Pierre Verger ou d’Eugène Smith.

Un espoir peut-être, une démarche aussi. Rien de systématique, mais bien souvent viennent d’abord des images de l’environnement immédiat accompagnées de portraits éblouissants (en noir et blanc aussi bien qu’en couleur) montés parfois par deux, de face et de côté, ironiquement à la manière des clichés de l’identité judiciaire que les populations prises en photo ne connaissent que trop bien. Suivent les paysages avec les gestes du travail, la chaleur et le froid, les tâches domestiques, les prières et les fêtes. Puis les intérieurs se révèlent : familles agglutinées autour du foyer, lits surélevés de quelques planches, reliefs de repas trop vite pris ; rangées de poches plastiques et de brosses à dents ; ailleurs coincée entre deux planches, la photo d’un proche. Tout comme l’élève précédemment mentionnée, habitée par le souci de bien faire et d’apporter un témoignage exact sur des bases réalistes, Michel Roget nous donne aussi à voir l’élégance et les signes discrets de l’esprit poétique des peuples qu’il photographie, un rêve d’Indien.

La Paz, 2002. Dans une série intitulée Conquista, Michel Roget, fourbu au retour de longues journées de photographie, met en scène la vision indienne de l’arrivée des Espagnols, les photographies d’un cauchemar indien. En un spectacle saisissant, le photographe s’est projeté de l’autre côté de la ligne magique de l’image pour devenir à son tour peintre et sculpteur. Ecoutons-le : « les fœtus de lama qui représentent le bonheur, scrutent le ciel, inquiets. Une boule de feu traverse l'azur, annonciatrice de mauvais présages. Les envahisseurs débarquent, mettent le feu partout, saccagent tout, croyant ainsi parvenir à éteindre les anciennes cultures. S'ensuit un ordre nouveau et ses débordements en tout genre. Plus tard, une pluie de feuille de cocas (la feuille sacrée des Incas) s'abat sur la scène et recouvre le paysage pour le purifier. Cet ordre nouveau est à son tour mis à bas et une nouvelle ère naît dans les ruines des anciens temps ». Au risque d’une interprétation hâtive d’un monde symbolique et rituel quasi inexploré, la scène témoigne du mépris et de la peur ancestrale que suscite l’histoire de la conquête chez ces populations trop souvent massacrées, mais qui n’ont jamais été tout à fait conquises.